Au Japon

Le marque-pages.

le sang et l'encre

Bien le bonjour! Ce n’est pas un article que je te propose aujourd’hui, mais tout un dossier, pas spécialement lié au Japon : mes pensées sur un sujet abordé par deux fois sur mon ancien blog (à base de filles nues en général). Sujet pas toujours évident à traiter, même si les mœurs évoluent plutôt en sa faveur, je veux parler (encore) de tatouage. Au grand désespoir de mes parents, je suis un adepte du dermographe et cela fait maintenant 4 fois que je me fais encrer. Seulement cette fois, je n’ai pas lésiné… Comme je le dis souvent, jeter l’encre est le meilleur moyen de jeter l’ancre sur un moment de notre vie, marquer une page, mais pas seulement! Je te propose aujourd’hui un véritable dossier sur ce que je pense du tatouage. Et si tu n’y vois rien d’intéressant, viens te faire convaincre (ou pas).

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Sommaire de l’article.

Oui, puisqu’aujourd’hui c’est tout un dossier qui va se dérouler sous tes yeux, tu peux donc cliquer directement sur le titre de la partie qui t’intéresse pour y accéder. Tu trouveras un lien qui te ramènera ici à la fin de la-dite partie, tout ça pour faciliter ta navigation. Tu es évidemment tout aussi libre de lire l’intégralité de l’article d’une traite, si t’as pas peur. Elle est pas formidable la vie?

I- Mon historique perso

Rappel rapide de ce que je possède déjà comme taches d’encre. Sans en être couvert, loin s’en faut, la collection s’agrandit assez pour devoir remettre les choses à plat.

II- Mon dos ce héraut.

Cette partie est consacrée à mon dernier encrage, le plus important à ce jour, peut-être. La plus grosse pièce aussi. Tour succinct, mais pas trop, de sa genèse.

III- Le tatouage ce marque page.

Tu trouveras ici ma façon d’aborder le tatouage, et ce que je pense de ce qu’en pense la société… et les réponses aux 3 questions qu’on nous pose le plus souvent, malheureusement.

IV- Une mode? Un Art? Ni l’un ni l’autre?

Un effet de mode? Est-on bien sûr que l’on sait de quoi on parle là? Parce qu’il me semble que le tatouage est précisément exactement l’inverse d’une mode. Un Art (avec un grand A), certains le voudraient, mais comment se présente l’avenir?

V- Notre corps, nos images

Un rapide coup d’œil ou tentative de réflexion sur l’une des raisons pour lesquelles nos générations sont plus enclines à oser le tatouage.

VI- Avec ou sans douleur?

La question semble centrale pour beaucoup de monde, mais ne serait-elle pas plutôt périphérique? A débattre…

VII- Conclusion

Au bout du compte… on n’a pas parlé d’argent?

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I – Mon historique perso.

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Petit rappel des faits. En 2008, j’ai 27 ans quand je saute le pas pour la première fois. Ce n’était pas une envie subite, cela faisait déjà plusieurs années que j’étais tenté, mais comme beaucoup de personnes, je ne savais pas quel motif tatouer. C’est une décision que l’on sait importante grâce à notre bon sens, en général, mais que l’on ne réalise de toute façon pas, tant qu’on n’a pas vécu un certain temps avec un tatouage. J’en suis venu à la conclusion récemment que le premier tatouage est toujours plus ou moins inconscient car il est impossible de se rendre de compte de ce qu’est « vivre » avec un encrage, avant d’avoir effectivement vécu quelques années avec un encrage. Alors le déclencheur? (Le prétexte peut être?) Pour moi cela a été la rencontre d’une jeune fille, Coréenne, qui m’a ouvert l’accès à un tout autre monde. Depuis elle, j’ai basculé dans la rencontre de cultures éloignées de la mienne. Des Coréens d’abord, des vrais, pas des images de reportages, ni des pages de manhwa (les manga coréens), mais bien des gens, avec qui j’ai découvert de nouvelles choses dans chacune de nos phrases échangées. Rapidement, après les Coréens, les Japonais ont montré le bout de leur nez (nous faisions tous partie d’une association qui s’occupait des étudiants en échange scolaire à Saint Etienne). La suite, tu la connais…

Ce nouveau brassage des cultures a été pour moi plus qu’une révélation. J’ai eu l’impression de remonter à la surface pour la première fois. De prendre cette respiration vitale. Peut-être est-ce ce que les bébés ressentent à la naissance? Moi en tout cas, j’ai drôlement apprécié, à tel point que j’ai voulu inscrire ça ad vitam eternam. Un coq, un hibiscus (car oui c’est la fleur symbole de la Corée, et pas seulement des surfeurs), et une phrase : « la découverte des cultures » (en coréen), et l’affaire était entendue.

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Quelques mois après, le sort mettait sur ma route Sakura, et déjà tout basculait. Les projets de vie en Corée qui naissaient dans ma tête se retrouvèrent broyés par mes élans du cœur, et le Japon vint conquérir une nouvelle fois la Corée, de manière tout à fait pacifique cette fois, et seulement dans mon cerveau troublé. C’est donc l’année d’après, en 2009, que les fleurs de cerisier sont venues agrémenter mon bras, marquant ainsi un peu plus cet intérêt pour la diversité. Avec ces fleurs ont éclos les projets de vie au Japon, avec tout ce que cela impliquait de remise en question profonde de ma petite vie. Avec ces fleurs ont aussi éclos ces pages et si tu lis ce blog, sois bien conscient que c’est grâce à elles, jusque dans son nom, et son design, car un tatouage n’est pas forcément simplement une envie de décoration, il peut être aussi le marqueur d’une évolution profonde de son porteur, et un déclencheur en lui même.

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Le problème avec le tatouage c’est que, si certaines personnes se contentent très bien d’un motif, d’autres y reviennent volontiers, et ont du mal à s’arrêter. Je pense que tu as déjà compris de quelle catégorie je fais partie… En 2010, les projets ont avancé, et j’ai pris la décision ferme de m’installer au Japon, où j’ai été accueilli par la plus merveilleuse ville du monde (après Grenoble), Osaka. Bon alors là je vais pas m’étendre, tu sais à quel point je chauvinise dès qu’il s’agit d’Osaka, et si j’ai décidé à ce moment là de graver sur moi le symbole de la ville (le miotsukushi), ce n’est pas parce que je vénère les services municipaux de ramassage des ordures, mais bien parce que la ville elle même représente mon point d’ancrage ici. Mon port d’attache, mon repère, mon fils, ma bataille… Je ne reviens pas sur le tatouage lui même, tu as toutes les explications que tu veux sur cet article.

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Cette fois, j’ai décidé de me consacrer enfin à mon dos. Un rêve à peine avouable depuis le premier jour où je suis entré dans un salon à Saint Etienne. Une envie forte mais difficilement réalisable. Cette fois ça y est, tout est réuni, c’est le moment, il n’y a plus aucun doute à avoir.

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II- Mon dos ce héraut.

Il ne faut pas oublier le simple fait qu’un tatouage, on en est fier aussi car c’est une pièce unique, le fruit d’un travail artistique, une partie de soi et de son identité qu’on a la chance d’avoir décidée, bref, un truc dont on n’a pas envie qu’on nous renvoie systématiquement à l’idée qu’on devrait en rougir. C’était vrai pour mes 3 premières fois, ça l’est encore beaucoup plus cette fois. Alors je vais prendre un peu de temps pour parler de la conception de ce bijou.

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Ça c’est la dernière fois que j’ai vu mon dos vierge. J’ai pris cette photo car je savais que dès le lendemain, il ne le serait plus jamais. Mais le processus qui m’a mené à ça ne s’est pas fait en une nuit, mais après avoir tortillé du bas du dos de longs mois. Oh c’était pas une recherche de tous les instants bien sûr, mais fréquemment depuis 2 ans, l’idée revenait dans ma petite tête, et je griffonnais régulièrement des schémas, des croquis, des montages photoshop… sans jamais réussir à obtenir un motif suffisamment satisfaisant… alors je laissais tomber une semaine etc… Finalement, un jour, l’idée germa.

Les sources fondamentales.

Dès que j’ai commencé à penser à l’éventualité d’encrer mon dos, l’envie première a été, de façon fort peu originale, je le crains, un motif de dragon. La faute à Shiryu, chevalier du dragon des Chevaliers du Zodiaque de mon enfance…  Sauf que bon, moi les dragons, j’en ai jamais rencontré… C’est pas ce qu’il y a de plus représentatif de mes goûts, de mon histoire etc… Mais qu’est-ce que j’aime l’esthétique, le mouvement, l’ondulation, le fuselage de la tête… Pourquoi pas une Koi alors? C’est un motif très répandu au Japon, il symbolise la persévérance, le courage, la virilité. Et ne dit-on pas qu’une Koi qui parvient à remonter le courant finira par se transformer en dragon? La carpe aussi a cette esthétique sympa, et en plus, j’ai connu un copain au collège qui avait des Koi dans son jardin!!! Mouais… bon… ok on a fait mieux comme illustration de ma personnalité ou de mon histoire… Mais quand même c’est dommage, c’est vraiment une esthétique qui me plait…

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J’en suis là de mes recherches infructueuses quand un nouvel angle de réflexion entre en jeu. Tu n’es surement pas sans savoir que je porte un amour tout particulier aux jeux vidéo. Jusqu’à avoir placé mon Master 2 d’Arts Plastiques sous le titre « Les espaces dans le jeu vidéo », et avoir joué en live à la PlayStation2 lors de ma soutenance. Peu commun. L’important dans cette histoire est l’oeuvre à laquelle j’ai joué à ce moment là. Shadow Of The Colossus est un titre qui a fait date dans le vidéo-ludisme et est reconnu aujourd’hui comme l’un des jeux les plus importants de sa décennie, et les plus marquants artistiquement parlant. Je ne vais pas revenir en profondeur sur ce jeu exceptionnel qui m’a définitivement influencé dans ma façon d’aborder ce medium, mais si cela t’intéresse et que tu aimes lire, ne passe pas à côté de ce superbe article qui explore une des lectures possibles de cette oeuvre monumentale.  Sache néanmoins que l’histoire brute de cette aventure est celle d’un homme qui, pour redonner vie à une femme, se voit confier, par un dieu mystérieux, la tâche de terrasser 16 colosses.

Les colosses eux mêmes ne sont pas agressifs, avant qu’on ne les embête, ils sont majestueux et on les décime donc avec une sorte de sentiment mêlé de soulagement, et de honte. Ils représentent tous l’absurdité de ce que l’existence nous impose de faire, parfois à contre cœur, mais qui, une fois réalisé, nous procure fierté et sentiment d’accomplissement. Leurs formes sont variées, animalières, anthropomorphiques, draconiques, certains nagent, d’autres volent, marchent etc… Tous sont de pierre et de fourrure/herbe, avec des symboles mystiques bleutés qui sont leurs points faibles, qu’il faudra d’abord atteindre puis auxquels il faudra s’attaquer pour vaincre la créature. Et la raison pour laquelle je décris tout ça est simple : c’est l’un d’eux que j’ai décidé de porter.

 La mise en route.

Beaucoup de tatoués (mais pas tous) te le diront, avoir un motif unique, ça compte. Pour moi en tout cas, ça compte. Et les tatouages de Shadow of the Colossus, y en a un paquet. Mais étrangement, dans le monde d’internet, il semble que 3 personnes aient eu l’idée de porter un colosse. Tous les autres se sont bornés à un « sigil », le fameux symbole du point faible des colosses. Étrange idée, souvent mal réalisée, bref, très peu pour moi. Parmi les 3 colosses représentés, on trouve deux fois le colosse numéro 1, Valus, et une fois le colosse numéro 7, Hydrus. C’est ce dernier qui a tout déclenché pour moi. En fait, je suis à peu près sûr que ce n’est pas un vrai tattoo car le modèle qui l’arbore, Missfawn, est, semble-t-il, un modèle photo et une cosplayeuse plus ou moins reconnue, et si son profil DeviantArt a disparu aujourd’hui, impossible de trouver une autre image d’elle avec ce tatouage. Toutes les autres fois où elle apparaît dos nu, il est vierge. Les cosplayeuses n’ont d’ailleurs pas franchement l’habitude de se tatouer de si grosses pièces, cela nuit trop à leur activité, et en y regardant de plus près, le motif a une sorte de trame… Quoi qu’il en soit, cela reste cette image qui m’a décidé.

Le point de convergence de toutes mes envies montrait enfin le bout de son nez. Lors de mes sessions de jeu, j’avais d’ailleurs particulièrement apprécié ce colosse pour son esthétique. A la fois traditionnelle nippone et entièrement originale. Créature unique mêlant la carpe, le dragon, l’épreuve, la puissance et j’en passe… La représentation faite sur cette image, est celle du colosse tel qu’il existe dans le jeu. C’est un portrait de lui, avec assez peu de libertés créatives. Et si j’ai aimé l’idée, la position globale, le noir et blanc avec pour seule touche de couleur le bleu du sigil et des yeux, effectivement très marquants dans le jeu, j’ai par contre décidé immédiatement qu’il me fallait une version personnelle. Je n’ai donc pas traîné à commencer mes croquis et bidouillages… encore une fois sans grande conviction sur les résultats obtenus au début… remise du projet au placard pendant quelques mois, à nouveau. Mais cette fois, l’axe était trouvé.

La réalisation.

Je vais passer plus rapidement sur le reste des motivations qui ne sont pas moins importante, au contraire, mais plus pénibles à raconter, mais… lorsque le cancer que l’on croyait vaincu est revenu dans le corps de ma femme, certaines choses se sont imposées dans ma tête. Une chose que je me suis toujours interdit de faire, avec la détermination d’un alligator à ne pas lâcher sa proie, est devenue en une seconde la seule chose importante qu’il fallait absolument que je fasse. Graver son nom dans ma peau. La veille j’aurais juré que cela ne m’arriverait jamais tant je suis conscient de l’incertitude des sentiments, et même si je n’ai jamais eu le moindre doute sur le fait qu’elle et moi finirions nos vies ensemble, jamais le moindre doute, je savais aussi que cette certitude était louable et belle, mais complètement arbitraire. Mais voilà. Lorsque nous avons appris que tout n’allait pas se dérouler comme prévu, il est devenu absolument vital pour moi de la porter sur moi, en moi, et pour toujours. Je ne veux pas faire pleurer dans les chaumières, ou justifier tous mes actes avec la tragédie que nous vivons. J’espère que tu as bien compris que l’envie et les idées étaient là avant ça. Néanmoins, j’ai pris ma décision ce jour là. Tout s’imbriquait. Le symbole du colosse deviendrait le nom de ma femme, et toute la symbolique de cette oeuvre merveilleuse que nous avons adoré tous les deux, que nous avons joué et rejoué ensemble et qui fait réellement partie de notre histoire commune, tout ceci faisait bien assez sens pour que je saute le pas.

Je me suis mis à la recherche des tatoueurs sur Osaka -j’en connaissais déjà un que j’avais consulté en 2009 avant de faire mon emblème d’Osaka- et c’est là que j’ai découvert Magu. En plus du fait d’être installé près de chez moi, Magu a un style absolument exceptionnel. Un style que je n’avais encore jamais vu chez un tatoueur. Je t’invite à parcourir ses galeries sur FlickR, note que les albums « Man … » sont les œuvres de sa femme, qui travaille avec lui. Mais si tu as la flemme, je t’offre un petit florilège de ses créations :

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Ce n’est pas seulement sa maîtrise du trait et des dégradés, sa patte si proche du dessin, ni son aisance sur tous les sujets qui m’ont le plus frappé, mais sa créativité. Son utilisation des vides et des pleins, des lumières, l’absence de contour (regarde moi ce phœnix en haut à gauche franchement!). Cela m’a largement suffit pour décider, non seulement d’aller chez lui, mais surtout de le laisser exprimer sa créativité. Pour la première fois, je ne voulais pas être l’auteur à 100% de mon tatouage.

Voilà Hydrus, tel qu’il apparaît dans le jeu. Une sorte de serpent de mer/dragon/poisson chat avec trois proéminences sur le dos que j’associe à 3 cornes. Elles produisent de l’électricité, mais je ne garderai pas cet aspect.

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Et voilà le croquis que j’ai présenté au tatoueur pour lui donner les explications. Ce n’est pas le premier que j’ai fait, mais le plus épuré, et donc éloigné du design purement copié du jeu. Je voulais cette base pour que lui puisse rebroder à sa sauce…

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Ah bah oui hein, on fait ce qu’on peut, je suis pas dessinateur moi, j’ai juste des notions (lointaines). Mais cela suffisait à lui donner les grandes lignes. Une fois qu’il a eu les explications des éléments importants à conserver, histoire que le colosse soit tout de même bien lui même (tête et ventre en pierre, queue en spatule, dos en fourrure, 3 cornes sur le dos, les yeux bleus et le nom de mon épouse sur le front), je lui ai demandé de laisser parler son talent et de me proposer sa version… ce qu’il a fait…

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Oui oui, je suis d’accord : c’est mieux! A gauche, l’étape 1 (le tracé des contours), à droite les étapes suivantes (les remplissages et ombrages). Et voilà comment quelques semaines plus tard, je me trouvais à nouveau sous le feu de la douleur du dermographe… et crois moi, bien plus forte cette fois que sur mes bras… bien bien plus forte…

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Après m’avoir décapé le dos avec cette petite sctotch brite que tu vois là, nous sommes passés aux choses sérieuses… première séance : les contours. Le moins douloureux. 30 minutes de préparation, 2h00 d’encrage.

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(Désolé pour la qualité, c’est mon téléphone qui a servi ici) Avant le tatouage, le dessin est transposé à sa future place, dernières vérifications et c’est parti.

Shadow of the colossus Tattoo - Hydrus - Step 1/3

Fin de la première séance. La créature prend littéralement vie, entre dans ma chair, devient moi. Cette fois c’est sûr, j’ai à la fois l’assurance que ma femme restera avec moi physiquement pour toujours, et à la fois le motif de toutes mes attentes : unique, travaillé, sur mesure, parfait. J’entre dans la phase où je dois faire connaissance avec mon nouveau dos. Car plus jamais cette créature ne me quittera. Nous devons nous apprivoiser, et je dois bien la soigner pendant un mois. Mois à l’issu duquel nous pourrons lui donner ses  premières nuances de gris. Trois séances seront encore nécessaires pour finir ce travail. Et en attendant celles-ci, je souffle un peu.

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La deuxième séance commence le 20 Octobre à 13h30… cette fois, l’attirail est plus fourni puisqu’on s’attaque aux premiers ombrages. Le programme prévu englobe les parties en pierre de l’animal, soient la tête, les nageoires, le dessous de la queue (cf le dessin préparatoire plus haut). Plus douloureux à cause des nombreux passages nécessaires au même endroit pour construire les dégradés, et plus technique et minutieuse pour le tatoueur, cette séance va être bien plus longue. 3h30 dont 3h d’encrage. Finalement il n’ira pas jusqu’au bout de son programme et nous ajoutons une séance au planning, initialement défini à 3 séances, il passe donc à 4.

Pause 2… Ma créature transpire à grosses gouttes… sauf que ce n’est pas de la transpiration…

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Voilà donc les étapes 1, 2 et 3 et 4.

Shadow of the colossus Tattoo - Hydrus - Step 1/3

Shadow of the colossus Tattoo - Hydrus - Step 2/4

Shadow of the colossus Tattoo - Hydrus - Step 3/4

Shadow of the colossus Tattoo - Hydrus - Step 4/4

1ère séance : 2h de piquage. 2ème séance : 3h00 de piquage. 3ème séance : 3h00 de piquage, 4ème et dernière séance 3h. Total de 11 heures de travail, résumées ici en gif animé :

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C’est amusant car un des commentaires de cet article (celui d’Angelo) m’a fait remarqué que je n’utilise jamais l’appellation de « modification corporelle » pour parler de tatouage. C’est simplement parce que, malgré le fait que c’en soit bel et bien, je le sais, je n’arrive pas à le considérer comme tel. Pour moi on n’ajoute rien -si ce n’est de l’encre- mais on révèle quelque chose. C’est peut-être parce qu’on mûrit tellement sa pièce qu’on la porte bien avant qu’elle n’apparaisse? Ou parce qu’à la différence des piercings, des implants et autres injections de silicones, le tatouage est une illustration de notre intimité, quand les autres sont des objets extérieurs ajoutés. L’encre se prend dans la peau et la peau cicatrise avec elle. Elles fusionnent. Je trouve que c’est moins une modification corporelle qu’une teinture des cheveux finalement… même si je concède que je pousse un peu… mais quand même

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III – Le tatouage ce marque page.

Shadow of the colossus Tattoo - Hydrus - Head Step 2/4

Alors qu’est-ce qui nous pousse, qu’est-ce qui me pousse à retourner chez un tatoueur? Pour celui ou celle qui n’a regardé ne serait-ce qu’un ou deux documentaires sur le tatouage, une émission médicale qui passe au crible une psyché malade des gens qui préfèrent l’encre aux photos de vacances, ou des web-séries sur le tattoo comme tendance de la mode, il n’est pas difficile de dire que, bien souvent, l’envie de tatouage resurgit à un moment charnière de notre histoire. Une grande joie, une grande peine, une décision difficile etc… Je me vois mal aller à l’encontre de cette psychanalyse de comptoir, puisque moi même, dois bien admettre avec ce que je viens d’écrire, que j’en suis la parfaite illustration. Ce n’est pas pour autant l’unique raison. L’amour de l’Art est tout autant une raison valable de se tatouer… Cela dit, je concède volontiers que, dans l’immense majorité, un jet d’encre sera un repère dans une vie. Mais c’est un marque page qui cache la couverture du livre si tu veux mon avis.

Je voudrais insister sur le fait que ce n’est pas le changement en lui même qui motive le marquage de la chair.  Tout le monde a des épisodes charnières dans sa vie. Pour moi, l’envie de tatouage en tant qu’ objet est là bien avant. Par exemple pour mon dos, mes recherches de design remontent à prêt de 2 ans, et comme je l’ai dit, l’envie elle même d’encrer cette partie du corps était là avant même ma première piqûre. Je n’avais simplement pas encore trouvé le motif parfait. Ce qui me manquait peut être était l’impulsion créée par cette étape de vie, cette charnière plus ou moins évidente, les questions de budget aussi, ou simplement l’accès à un tatoueur à la hauteur de mes attentes. Tout ce qui fait qu’on passe du projet à sa réalisation. Il n’empêche que je pourrais très bien marquer mes étapes de vie importantes par un album photo, un roman, une grosse bagnole, une croix rouge sur un calendrier à chats, ou que sais-je? Mais moi ce que j’aime c’est l’encre indélébile. Je voudrais juste qu’on arrête de chercher des explications pseudo-psychologiques comme si nous étions atteints d’une maladie… Ce n’est pas être détraqué que de vouloir se tatouer.

Ce sur quoi je veux insister ici est qu’on présente trop souvent le tatouage comme une réaction à un fait précis, et par sous entendu, à un truc impulsif, un caprice, un truc bizarre qui doit certainement avoir un rapport à un trouble plus ou moins enfoui, et forcément irréfléchi puisque si on réfléchit une minute, le côté permanent devrait être rédhibitoire… alors qu’il n’en est rien, le tattoo est un moyen d’expression qu’on aime et respecte, et donc qu’on choisit pour s’exprimer, et se parler à soi-même aussi, et la permanence est ce qui lui donne son intérêt, sinon on ferait comme tout le monde et on porterait des T-shirts fantaisies. Je parlais plus haut des deux catégories de tatoués, ceux qui se contentent d’un motif, souvent petit, et ceux qui y reviennent. Ces derniers sont juste, à mon avis, plus accro au mode d’expression qu’il représente, qu’à l’envie de se décorer. Attention l’un n’empêche pas l’autre et je ne porte absolument aucun jugement de valeur sur telle pratique ou vision plus noble que telle autre ou je ne sais quoi… ce n’est en aucun cas mon propos.

Shadow of the colossus Tattoo - Hydrus - body Step 2/4

D’ailleurs s’il y a bien une chose que j’aime dans le monde du tattoo c’est que, très globalement, on ne juge pas les tatouages des autres. Évidemment certains attirent plus facilement la moquerie, voire le dégoût mais dans l’immense majorité des cas, au pire on se dit qu’on ne porterait pas ça sur nous, au mieux on admire l’idée, le travail de l’artiste, etc… comme on regarde des tableaux qu’on ne voudrait pas nécessairement acheter mais qu’on est capable d’apprécier. C’est une analogie facile et commune que celle du tatouage et de la toile de maître, et à vrai dire je trouve assez étrange de devoir encore défendre le bifteck en usant de telles comparaisons. Il ne viendrait plus à l’idée de personne de tenter de prouver la valeur artistique de la photo par comparaison à la peinture etc… Il suffit de s’attarder plus de 3 minutes sur une page Google Images de tatouages pour comprendre la dimension artistique et si on la réfute alors on est juste borné et de mauvaise foi.

L’ennui c’est que dans nos conceptions occidentales, il existe des arts majeurs et des arts mineurs. Le tatouage, avec son passé de taulard, de rockeur décadent, de preneur de drogue ou d’assassin, a du mal à redorer son blason. D’autant qu’il a été accosté et récupéré très largement par la « sous culture« , dont le nom lui même indique la considération qu’on lui porte. Sauf qu’aujourd’hui on assiste à une explosion de la sous culture. Elle ravage tout, elle devient très largement dominante et ce n’est pas pour plaire aux institutions en place… moi non plus si j’étais Balzac, je ne serais pas ravi de basculer du coté du confidentiel, du méconnu, de l’incompris et de l’underground… mais voilà, c’est comme ça. De nos jours les écrivains sont plus souvent des journalistes et des blogueurs que des poètes, et les peintres sont des grapheurs de murs ou des graphistes publicitaires. Dans ce monde là, crois moi, le tatouage a déjà gagné toutes ses lettres de noblesses avec sa seule histoire.

Mais je m’eloigne un peu. Revenons-en à mon sujet : moi. Oui car s’il y a bien un aspect du tatouage qui lui est fréquemment confisqué, c’est son côté personnel. Évidemment ! t’exclames-tu, puisqu’on a plus souvent l’impression d’assister à des défilés de modes avec ces dégénérés qu’à des introspections pudiques. Et je ne peux pas te donner entièrement tort. On assiste malheureusement plus souvent à des parades dans nos rues, sur nos plages, dans nos magazines et j’en passe. C’est bien entendu dû au fait que le tatouage, c’est visible. C’est extérieur. On a vu mieux comme introspection. Et bien entendu comme avec tout « phénomène de mode » (on reviendra plus bas sur cette dénomination), plus ou moins long, on a droit à tout… mais que cela n’obscurcisse pas le débat sur le tatouage, comme la multiplication des strings qui dépassent n’a jamais, je crois, remis en question la valeur du travail de la dentelle pour lingerie fine, ou les musées du tissu. Le tatouage n’est pas responsable de la façon dont on l’utilise.

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Se parler à soi-même disais-je. Car oui, si on aime montrer nos tatouages, on aime aussi les cacher parfois, et il ne faut pas oublier que nous, on vit avec. On ne les enlèves pas quand ça nous arrange, et c’est bien là leur essence même, impossible à illustrer. Je ne pourrai jamais montrer ce que c’est de vivre avec. Ce que c’est de le voir après chaque douche, de le sentir gonfler quand il fait chaud, de le regarder et y voir une époque, y entendre une chanson, y sentir une odeur ou y entendre un rire. De me souvenir, en un regard, celui que je veux être. Car c’est à ça qu’il sert aussi. Mais impossible de mettre tout ça sur une image ou dans un docu. La plupart des contacts qu’un non-tatoué ou quelqu’un qui ne s’y intéresse que de loin aura avec ce monde, ce seront probablement des docu qui montrent des conventions, dans le meilleur des cas (sinon ce sera une émission pour attardés avec des attardés, et on sera pas sortis de la purée…), ou des gens qui parlent de leur motif 3 minutes, et donc en restent au sens externe de celui ci. Je n’ai encore rien vu qui traite du « vivre avec » de façon pertinente. Il faut donc bien comprendre que cet aspect, non seulement existe, mais prédomine dans le fait de porter un tatouage, mais impossible de le faire comprendre en montrant son encrage et en répondant toujours aux 3 mêmes &*)_’§% de questions… questions auxquelles nous allons répondre ici une fois pour toutes.

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1- Est-ce que ça fait mal?

Oui. Vraiment. Comme tu peux le voir sur l’image ci-dessus, à certains endroits plus que d’autres, à certaines personnes plus qu’à d’autres, mais oui ça fait mal. On y revient dans la partie VI.

2- Mais quand tu seras vieux ce sera moche!! Tu y a pensé?? (Sous entendu : crétin des Alpes!)

Alors là c’est ma préférée… attention je vais me mettre en boule à partir de ce « top » : déjà si tu crois que j’ai investi autant, que ce soit en temps, en émotions, en douleur etc pour avoir un truc juste joli un temps, tu aimerais peut-être réfléchir plus de 3 minutes au sujet (particulièrement si tu présentes une émission de télésur la santé avec comme thématique le tatouage, hein Michel?)… ensuite le fait qu’un jour tes cheveux seront filasses, blanc-jaunes, épars ou inexistants ne t’empêche pas d’aller te faire beau/belle chez le coiffeur ces jours-ci si je ne m’abuse… en quoi la tête qu’aura mon tatouage dans une hypothétique vieillesse, a un quelconque poids dans sa valeur? Si je suis vieux c’est qu’il m’a accompagné, et qu’il a donc tenu son rôle. Et de toutes façons… franchement, est-ce que tu fais tous tes choix en te demandant ce que ça donnerait si t’avais 80 ans? Si oui, ça sert à quoi? Enfin si tu as suivi, l’intérêt du tattoo est de vieillir avec, de vivre avec, il nous aide à évoluer, à se souvenir, à s’accrocher à nos valeurs etc… il est un moteur de la personne que l’on devient. Tu ne peux pas systématiquement reprocher aux tatoués une frivolité que tu imagines et poser ce genre de question si peu réfléchie. Sérieusement j’en peux plus de celle là, crétin des Alpes.

3- Et t’as pas peur de regretter?

Ok pardon je me calme… la question du regret est déjà un poil plus légitime. Mais à ça, il n’y a qu’un positionnement personnel qui puisse répondre. Soit tu fais partie des gens qui réfléchissent un minimum à leur encrage et alors il te sera difficile de regretter, au pire il te faudra l’assumer, soit tu fais partie des gens qui ont fait une connerie et là… bah pareil faudra la gérer. C’est ça aussi vivre avec son tatouage. Mais normalement c’est une question qui ne se pose que si le tatouage n’est pas une bonne idée pour toi. Et c’est une question que tu n’as pas besoin de poser à quelqu’un si tu le connais un minimum… à partir du moment où ta motivation est ancrée dans ton être et pas dans un magazine, il n’y a que peu de chances que tu regrettes un jour. Et si tu n’en es pas encore persuadé, c’est que tu n’es pas prêt.

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Une fois encore l’encrage s’adresse d’abord à son porteur, même si sa nature esthétique parasite cet aspect dans la compréhension que peuvent en avoir les détracteurs. Mais c’est pas parce que c’est intime qu’on ne peut pas le porter fièrement et aimer le montrer ou en parler. Le tatouage en tant que discipline nous passionne forcément mais c’est pas pour autant qu’on veut décoder tous les motifs de notre corps à chaque rencontre ou évocation du sujet. Ce sont deux faces d’une même pièce si tu préfères. D’ailleurs, s’il te plaît, si d’aventure tu croises un tatoué dans une soirée, évite de lui demander directement s’il y a une signification profonde à son tattoo… parce que déjà y en a pas forcément et y a rien de mal à ça, et qu’ensuite y en a peut être une qui ne te regarde pas puisque t’es un ou une inconnu(e). Et si tu me dis que j’ai qu’à pas le montrer, je te réponds que c’est pas parce que je montre la face esthétique que je dois systématiquement montrer la face personnelle. C’est d’ailleurs pourquoi je ne veux pas décortiquer la symbolique totale de mon récent motif sur ces pages, mais en donner les raisons évidentes et les caractéristiques principales me semblait logique.

Au final, si le tattoo paye encore son image négative auprès des générations légèrement plus avancées, c’est parce qu’il est bien méconnu. Indécrottablement associé à un lexique des durs, des voyous, des marginaux, des dangereux énergumènes, il devient, pour peu qu’on écoute plus de 5 minutes les concernés, un vivier d’histoires tendres, de déclarations d’amour, de témoignages, ou plus légèrement de créations. C’est bien souvent un engagement pris, à la fois témoin de celui ou celle qu’on a été à un moment, et tuteur de celui ou celle qu’on veut devenir. L’encrage est une énergie positive. Il est aussi parfois un moyen d’accepter son corps, mais je ne vais pas développer cet aspect, j’en ai déjà parlé dans les articles cités plus haut, et si c’était vrai dans mon cas pour le premier, cela n’était plus l’enjeu des suivants. Cela pourra peut-être le re-devenir un jour pour un futur motif, qui sait?

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IV- Une mode? Un art? Ni l’un ni l’autre?

Mode?

Bon et puis il faut arrêter avec cette histoire d’effet de mode sérieusement. Tu ne peux pas parler de tattoo sans qu’à un moment ou à un autre cela revienne sur le tapis. Oui le tatouage se démocratise. Oui il se répand. Oui, on l’a vu, il s’est emparé de la sous culture… les geeks, les mannequins, les acteurs et sportifs cools et populaires… Oui malheureusement il y a un revers de la médaille. Il y a des écervelés, des abus, et des choses condamnables, à la fois chez certains tatoués, certains tatoueurs, et approximativement tous les média grand public qui traitent vraiment le sujet par dessus la jambe… Mais réduire la discipline à ceux là n’est pas seulement insultant, c’est surtout bas du bonnet.

Galerie du tatoueur S13

Sans remonter aux marquages du corps préhistoriques. Sans même aller jusqu’aux tatouages rituels tribaux de Polynésie ou d’Asie du Sud-Est que les marins occidentaux ont ramenés… juste en remontant au début du style Old  School, sans doute le commencement du tatouage à caractère plus artistique, recherché et symbolique dans nos sociétés de petits Blancs… on parle quand même de quelques 40 ou 50 ans… Un demi siècle ça commence à faire long pour une mode. Alors c’est vrai que depuis 10, 15, allez 20 ans, entre le développement des média et de la société de consommation, et le nouveau rapport à l’image et au corps qu’ Andy Warhol, Francis Bacon, Cindy Sherman, David Kronenberg ou même les frères Wachowski ont forgé lentement au cours de ces dernières décennies, l’explosion visible du tattoo reste récente… mais quand même! Les Pogs, les pin’s, les cartes Paninis… ça, c’étaient des modes. On peut quand même pas être droit dans ses bottes et parler de mode du tatouage! Une démocratisation, un développement éclair, un engouement fulgurant et surprenant, je veux bien. 1 français sur 10 serait tatoué si on en croit les reportages qui utilisent ce chiffre depuis 10 ans… probablement beaucoup plus aujourd’hui donc. Est-ce qu’un phénomène de mode, aussi puissant soit-il, touche de telles tranches de population sur de telles durées? Sans offense envers la Tecktonik, je ne crois pas. Maintenant il est clair que la surabondance de tatouages de ces dernières années a un effet de mode, on va y revenir juste après. Mais l’entièreté de la pratique ne se résume pas à ses 10 dernières années.

On ne va jamais le dire suffisamment, la nature même du tatouage est l’éternel, l’irréversible. Le contraire d’une mode. Aujourd’hui on le regarde comme une mode en attendant de se détourner sur un nouveau sujet sociétal à montrer du doigt, les pantalons trop [larges/bas/serrés/bariolés/autres] (rayez les mentions acceptées par votre génération) ou n’importe quoi d’autre… mais toutes ces « fashion victimes » encrées que nous sommes allons garder nos motifs. Et nourrir l’évolution du médium. Le style Old School mentionné plus haut est à nouveau le plus tendance. Ses codes ont changé, ses couleurs sont plus variées, son champ lexical est différent. Plus seulement marin mais aussi kawaii, et pourquoi pas? Il a donné naissance au New School, moins codifié, plus créatif. Les mouvements artistiques se créent toujours ainsi et un art est vivant, jamais figé trop longtemps dans ses codes sous peine de mourir. Que dirons-nous dans 30 ans? Que tous les retraités sont à la mode? Tu penses que le tatouage ne sera plus qu’un vieux délire? C’est impossible car le tatouage, c’est notre rapport au corps. Et les humains n’ont pas seulement un corps, ils ont aussi conscience d’en avoir un.

Art?

La question est plus complexe qu’il n’y parait. Evidemment, aujourd’hui, tout le monde sera d’accord pour dire que le tatouage est une discipline artistique. Je l’ai moi même répété. Mais comme on l’a vu plus haut, pour nous Occidentaux, il y a « art » et « Art »…Si personnellement je condamne cette façon de concevoir les pratiques artistiques, il faut bien admettre que c’est une réalité, et qu’elle a des conséquences.

tattoo l'oiseau

La première, c’est que, comme tout art pas tout à fait reconnu en tant que tel, il cherche à prouver qu’il le mérite. Les tatoueurs redoublent d’ingéniosité, de technique et de références pour obtenir un regard respectueux. Et il faut dire que pour beaucoup, cela fonctionne à merveille comme pour L’Oiseau, tatoueur à Perpignan, dont je ne saurais dire que des gentillesses, et bien d’autres. Mais qui sont ces nouveaux tatoueurs, qui ont su s’adapter aux modes de communication d’aujourd’hui et qui inondent Facebook, Instagramm et ont des sites internet plus design que ceux des musées? Des graphistes, des illustrateurs, des habitués de la palette graphique. De « vrais » artistes donc, et plus encore, des gens de leur époque, qui ne font pas que surfer la vague, mais qui la façonnent, l’alimentent.

Et c’est probablement très bien pour le tatouage. Mais j’émets personnellement quelques menues réserves sur cette profusion de tatouages très « BD » « illus » qui déferlent. La question que je me pose, et j’insiste, c’est une question à laquelle je ne parviens pas à répondre pour l’instant, est celle de l’intérêt d’avoir une illustration (au sens graphiste, voire publicitaire du terme), en tant que tatouage. Je sais que mes pensées qui vont suivre peuvent paraître contradictoires, c’est bien pour cela que je n’arrive pas encore à fixer mon avis, mais le questionnement me semble intéressant…

Joshua Ross

Les courants au sein du tatouage, qu’on appellerait « mouvements » ailleurs, ou « écoles », et qui sont souvent réduits au mot « style » dans la sphère de l’encre, sont tous précis, et plutôt clairement définis aujourd’hui. Du Old School au Biomech, en passant par le Morbid et le Japonais, et même quelques jeunes mouvements uniques comme le désormais célèbre et impressionnant « Trash Polka« … Le seul qui peine à trouver une définition claire est le New School. C’est l’évolution du Old School, comme on l’a vu plus haut, et avec le Réalisme, il est de loin le plus représenté aujourd’hui dans les galeries de ces jeunes tatoueurs. Pourquoi? Pour la simple et bonne raison qu’ils maîtrisent mieux la com, qu’ils savent comment exposer, et font un véritable travail de diffusion. A la bonne heure, ils sont les acteurs de cette démocratisation qui me plait tant. Mais à quel prix? Je vais le dire honnêtement, tant pis si ça déplaît, cela n’engage que moi mais… je ne crois pas que cette profusion de styles dans un même carcan, celui d’une génération, survive aussi bien que les autres. Il y a trop de forme et trop peu de fond pour en faire des codes transgénérationnels.

Et alors? Demandes-tu? Et alors rien, sauf qu’une fois encore, on ne parle pas de T-shirts ici, ou de planches de skateboards (bien que ces commerces aient été largement influencés par le tatouage New School et profitent à juste titre de tout ça), on parle de permanence, non seulement à l’échelle d’une vie humaine, mais bien plus que ça, à l’échelle d’un courant artistique qui se transmettra. On a vu ce que donnait la vague de mode du tatouage « tribal » : une vague de « cover » 10 ans plus tard, et des motifs souvent moqués… Je crois que le tatouage est peut-être à un tournant de son existence. Ces nouveaux artistes, que personnellement j’adore, que ce soit Moni Marino, Teresa Sharp, ou d’autres, sont devenus des superstars du tatouage, et pour avoir leur encre, il faut leur laisser toute liberté. Proposer son idée, et si le Maître a une image en tête, il daignera se porter sur toi. Ils en oublient que le tatouage, c’est toi qui le porte, toute ta vie. Et on tendance à traiter leur clientèle comme une toile. Mais à trop vouloir jouer l’Artiste, on oublie son Art.

Trash Polka sur le site des inventeurs

Tous les autres arts ont commencé par chercher une reconnaissance en imitant les arts établis de leur époque, avant de, petit à petit, trouver leur identité. J’ai parfois l’impression que le tatouage fait l’inverse, et glisse de son identité profonde (l’engagement, l’indélébile, l’irréversible) à une envie de copier les codes existants (le jetable, la consommable, l’instant). Non pas de l’art, mais souvent de la société de consommation. Mon tatoueur n’entre pas non plus dans un style très précis de tatouages. Je ne cherche pas à dire qu’il faut coller à tout prix à une école pour donner de la valeur à son travail, absolument pas. Il est à mi chemin entre le Japonais et le réaliste. Et il ne communique pas. Pas beaucoup en tout cas. Mais son salon ne désemplit pas, dans un pays où le tatouage est tabou. Je reste donc convaincu que la sur-exposition (passagère?) du tatouage n’aura de réel impact que sur la tranche la plus jeune de l’arbre à tattoos… la plus « mainstream » pour utiliser les mots à la mode.

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V- Notre corps, nos images.

Les grandes figures de l’Art, celui qui fait recette, celui qui est établi, celles parmi lesquelles j’ai pioché quelques noms plus haut… Warhol, Sherman, Kronenberg etc… sont des gens qui ont forgé une nouvelle vision, une nouvelle lecture du corps. Et si le tatouage tel qu’on l’a analysé juste avant, montre certaines différences avec ce Mooonde Merveileuuuux de l’Ââââârt, il n’en reste pas moins l’héritier direct, et, plus que des tatoueurs, parlons un peu des tatoués. Qu’est-ce que ces artistes ont fait pour changer (indirectement) notre façon de voir le tatouage? Pour faire simple, sans les études systématiques et mathématiques de la perspective par Alberti et consorts, la Renaissance  n’aurait pas eu lieu. Si les tubes de peintures facilement transportables n’avaient pas été inventés, les peintres auraient continué à peindre des Enterrements à Ornan comme des scènes extérieures mais éclairées par leur lampe à huile, puisqu’il ne seraient pas sortis de leurs ateliers, et l’Impressionnisme n’aurait jamais eu lieu. Si Dora Maar n’avait pas fricoté avec Pablo, il n’aurait peut-être jamais eu envie d’observer son entourage par tous les aspects simultanément, et le cubisme serait peut-être passé à la trappe. Où je veux en venir? Hé bien nos générations et nos sociétés tout entières sont le fruit de productions des générations précédentes. Et notre société d’image a forgé aux plus… « jeunes » d’entre nous, une vision de leur propre corps, que nos parents ou grand-parents ont parfois du mal à saisir.

En apprendre plus sur Cindy Sherman

Le tatouage est une réappropriation de notre corps, longtemps confisqué (par l’Eglise en grande partie, mais pas que). Peu importe. Le Rock n’ Roll est arrivé, les orthèses que sont nos ordinateurs, nos téléphones, nos écrans, sont entrées dans nos vies, et naturellement, nos corps ont changé. Notre conscience du corps a changée. Le but de notre corps a changé. Là tout de suite, mon être tout entier est concentré dans mes doigts, et c’est mon clavier qui est ma bouche. Ma pensée presque, tant je construis mon discours en tapant. Bref, le tatouage est aussi un manifeste pour dire que notre corps nous appartient, on en garde le contrôle. On décide de ce qu’on veut en faire car c’est peut-être bien les seuls centimètres carré de vraie intimité qu’il nous reste. La surface de notre peau.

cochon tatoué par Delvoye puis empaillé et exposé.

Je ne veux pas descendre trop loin dans les affres des propos des théories de l’Art car s’il est clair que le tatouage a toute sa place dans ce discours, il ne me semble pas non plus judicieux de le placer à tout prix en égal de ce qui est aujourd’hui dans les musées, et qui se vend à prix d’or en ayant été d’abord conspué de la même façon qu’on traite aujourd’hui le tattoo. Les choses évoluent, une grande expo se tient en ce moment même à ParisTatoueurs tatoutés– jusqu’en Octobre 2015, et un jour il sera étudié dans les fac (peut-être est-ce déjà le cas?) comme j’ai étudié les artistes sus-nommés. Il a peut-être besoin d’être encore un peu obscure et incompris pour accéder à cet « honneur » qui n’en est pas un, à mon avis. Wim Delvoye a essayé de critiquer le système de l’Art mercantile qui trie le bankable et le déchet, en tatouant des porcs et en les empaillant ou en encadrant leur peau. Il est même allé jusqu’à vendre une oeuvre sur le dos d’un homme, qui est, par contrat, tenu de s’exposer au gré de son propriétaire, et qui léguera la peau de son dos à sa mort. Le Marché de l’Art a réagit complètement à l’opposé de ce que Delvoy voulait dénoncer (mais il a pris les chèques…). La preuve s’il en fallait une, que le statut du tatouage est encore « le cul entre deux chaises »…

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VI- Avec ou sans douleur?

Voilà une question qui revient souvent aux oreilles des tatoués. Moi même, la semaine dernière encore, l’ai entendue. C’est une question moins bête qu’il n’y parait, et qui mérite selon moi une réponse moins radicale que celle généralement proposée… Donc : « est-ce que la douleur est nécessaire au tatouage? » « Est-ce qu’un tatouage sans douleur est un tatouage? » « Pour ou contre les tatouages sans douleur? »  Autant de façon de poser la même question et interroger le rapport à la douleur. « Evidemment! Il faut mériter son encrage! » « La douleur fait partie du processus! » « Tatouages sans douleur? Pourquoi faire? » Et j’en passe, sont autant de façons de répondre à ces questions. De façon unanime, tu obtiendras cette même réponse, limite avec un regard de dédain, ou une levée d’yeux au ciel… Et pourtant…

OK, d’abord je dois dire que, moi aussi je pense que la douleur est… utile. Disons qu’elle est un des revers de la médaille, et que ce n’est pas si grave. Mais nécessaire? Garante d’un statut plus honorable du tatouage? Franchement j’hésite. Il faut bien comprendre une chose. La douleur est une notion. Là maintenant tout de suite, je peux en parler en tous les termes possibles, te donner autant de comparaisons possible, être le Grand Vizir de la métaphore, heureusement pour toi, tu ne ressentiras pas cette douleur. Si dans ta vie tu as déjà ressenti quelque chose de similaire, tu en auras probablement gardé un souvenir désagréable et au pire tu grimaceras. Mais tu n’auras pas mal. Où est-ce que je veux en venir? La douleur du tatouage commence à la seconde où l’aiguille se pose sur toi, et s’arrête à la seconde où elle la quitte. Ce n’est pas une douleur persistante. Ok elle peut être extrême. Mais toujours limitée dans le temps.

aïe aïe aïe

Conséquence? Pendant le tatouage, tu en es réduit à te demander ce qui t’as pris, et dans la rue devant le studio en sortant, à te demander si t’as vraiment eu mal. Ce qui pourrait agir comme une barrière, un frein à l’obsession de l’encre, ne serait-elle, au mieux, qu’un écran de fumée pour faire peur aux gosses? Comme on l’a vu plus haut, si le tatouage t’attire, vraiment. Si tu aimes ce médium, la douleur ne changera rien, tu iras t’allonger. Alors la hisser au rang de super preuve de courage, de médaille du mérite, de partie intégrante du tatouage… Je n’irais peut-être pas jusque là personnellement. Oui je suis fier d’avoir tenu. Oui je suis content que ce soit fini et oui j’appréhende quand j’ai plusieurs séances à faire. Mais à chaque nouveau tatouage, la douleur du précédent n’est qu’un vague souvenir. D’autant plus que chaque centimètre carré de peau est susceptible de déclencher une douleur tout à fait différente. Et chaque approche du dermographe est un suspense. Est-ce que je vais prier pour que le trait soit court ou pas? Tout ça est très momentané dans un monde où c’est la permanence qui gouverne. Alors pourquoi pas l’enlever? Pourquoi faire l’apologie de cette douleur?

J’admets que ça laisse un goût de « je mérite mon tatouage ». J’admets aussi bien volontiers que sans la douleur, ce n’est pas 1 français sur 10 qui serait tatoué mais 9 sur 10. De même, si on enlève la douleur, pourquoi ne pas enlever la permanence? Ok ça existe ça s’appelle du henné ou un décalco malabar… Donc oui, je suis bien obligé de considérer que la douleur fait partie du tatouage. Mais elle n’en est ni l’essence, ni la valeur. Une amie m’a récemment fait part de son grand étonnement de voir plusieurs de ses amis tatoués parler de cette envie d’y revenir, malgré la douleur… On a déjà évoqué plus haut quelques raisons à cet engouement au tatouage (amour du mode d’expression, envie de personnaliser son corps, se le réapproprier, etc…), mais la question de mon amie était plus précise que ça, et c’est clairement l’envie de réengager un processus douloureux qui lui posait question. Cette soif d’encre dont je lui avait parlé, soif difficile à étancher, qu’elle s’étonnait de voir si forte, malgré la contrainte de la douleur. J’y ai donc réfléchi un peu plus, et voilà ce que j’en ai conclu, et ce que je lui ai répondu :

Je crois que cette soif d’encre se rapproche de ce que décrit Philippe Delerm avec sa « première gorgée de bière », pour rester dans la thématique… Je m’explique :
Porter un tatouage, c’est beaucoup d’étapes différentes (pour moi en tout cas)… L’envie naissante, la conception, le passage à l’acte, la reconnaissance de son nouveau corps, le « vivre avec ».

La conception et la reconnaissance de son nouveau corps sont clairement les 2 phases les plus excitantes pour moi. Les autres, la dernière surtout, qui s’étend sur tout le reste de mon existence est plus de l’ordre de la fierté etc… Mais créer, décider, obtenir un nouveau tatouage, est bien plus grisant, exactement comme un matin de Noël… Je crois que c’est principalement pour vivre ça qu’on y revient et que la douleur n’a pas d’incidence là dessus. Si on te disait que pour ouvrir tes cadeaux chaque 25 Décembre il fallait d’abord que tu prennes une grosse gifle, tu arrêterais de te lever le plus tôt possible? Moi non.

Attention j’insiste sur le fait qu’il ne s’agit ici que d’une raison minime de se faire tatouer. Et il vaut mieux car porter toute sa vie la marque d’une envie passagère, compulsive, serait bien l’opposé de l’intérêt du tatouage que je défends. En revanche, ils’agit pour moi d’une raison majeure du fait que la douleur ne joue qu’un rôle minime dans la décision de se faire RE-tatouer (la première fois, de toute façon, on ne sait pas à quoi s’attendre). Et puis j’aime aussi la douleur du tatouage. Ça c’est bizarre je sais. Quand j’ai commencé ce motif, j’ai vraiment été surpris de douiller autant par rapport aux bras, et j’étais un peu inquiet. Et puis mon corps a accepté cette douleur, 1 fois, 2 fois, 3 fois… finalement, même si elle est forte, je l’aime parce qu’elle s’arrête, et je l’aime parce qu’elle est unique. « ça fait mal comment? – comme un tatouage… » on parle souvent de griffures de chat… d’un chat bien furax bien longtemps… mais c’est pas ça. Cette douleur se définit par son rythme, sa variété d’amplitudes, et son bruit.

Elle se définit par le temps de réflexion qu’elle te donne, parce que tu cherches à la combattre alors tu t’évades, tu essayes de méditer, comme tu essayes de t’endormir dans ton lit quand t’as pas sommeil. Cette douleur est le tic-tac de l’horloge de chez ma grand mère, quand j’attendais qu’on puisse sortir jouer, ou que mes parents reviennent me chercher… un truc pénible qui annonce un truc vraiment satisfaisant.

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VII- Conclusion.

Tu as surement remarqué que je n’ai pas abordé la question du prix. Pourtant en voilà bien une qui passionne les foules aussi. Je n’y ai pas accordé de place pour deux raisons : la première est qu’à quelqu’un qui e demande « combien ça me coûterait de faire ci ou ça? », il est impossible de dire autre chose que : ça dépend de ton tatoueur et de ton motif. Il y a un prix minimum (50 euros en France et environ 8000 yens au Japon) qui correspond aux frais minimum du matériel et du bonhomme. A partir de là, tu as tout dit. A toi d’aller faire un devis, comparer, etc… Et la deuxième raison c’est que quand quelqu’un te demande « combien t’as payé pour ça? » cela finir toujours en « ah ouais quand même! c’est pas donné! ». Et là, 2 possibilités : tu compares à une semaine de vacances et ça calme tout le monde, ou tu fais une estimation grossière du temps qu’il te reste à vivre et tu rapportes au coût par jour. Sans parler du fait qu’à part si tu t’es fait tatouer un flash (des designs vendus industriellement recopiés par les tatoueurs, y en a des jolis, mais on parle plus de la même chose quoi), ce que tu as dans ton épiderme est un vrai travail de la part du tatoueur. Va voir le prix des croûtes de décoration encadrées à Ikea et reviens me dire que c’est cher de se faire tatouer. Donc voilà. Tu veux un truc de valeur, il aura une valeur.

Pour finir donc, je voudrais insister sur l’idée que le tattoo est un objet de curiosité et d’incompréhension, qui fascine et repousse, qui fait peur et séduit, mais qui, dans tous les cas, mérite bien plus de considération qu’il n’en a aujourd’hui. Je veux dire… y compris par les débilos qui se tatouent le poignet le lendemain de leurs 18 ans… Sa dualité oscillant entre l’intime et le public le rend très difficile à comprendre pour ceux qui ne s’y sont jamais intéressé de près, et si cela se comprend, je voulais apporter ma pierre à l’édifice en donnant ma vision de tout ça. Elle n’est rien d’autre que ma vision, mais je pense pouvoir dire que quelques tatoués se reconnaîtront. Il faut bien garder à l’esprit que, pour des raisons purement pratiques, n’importe quelle présentation de cette discipline aura tendance à te montrer les cas les plus extrêmes et que donc, tu n’auras qu’une image biaisée. Non, un tatoué n’est pas un junkie percé de partout (personnellement par exemple je n’aime pas du tout l’esthétique du piercing), qui se saoule et se drogue, ou est un marginal en constante crise d’adolescence. Non, tous les tatoués n’ont pas pour but dans la vie de se recouvrir le corps. Bref, pour faire un parallèle avec un sujet familier de ce blog, si tu ne vis pas sur place, ne t’attends pas à embrasser un univers dans son ensemble. Même en vivant sur place c’est impossible, alors à coup de 4 discussions, 3 documentaires et 2 articles de presse… n’y penses même pas. Et si tu ne vis pas avec de l’encre, c’est pareil. Tu vois bien que pour donner un aperçu d’un quotidien au Japon par exemple, ça prend un blog entier et des années. Le moins que je pouvais faire pour le tatouage est ce dossier de sensibilisation.

J’ai écumé un sacré paquet de films et de sites sur le sujet, et j’ai peiné à trouver quelque chose d’intéressant. J’espère vraiment que ce long texte pourra être bénéfique et éclairant pour quelques personnes. Et si tu veux en apprendre plus, ou voir des choses sympa, bien que peu représentatives, je peux te conseiller ce documentaire, qui parle plus de ce qu’est un tatoueur, et des conventions de tatouage, mais qui reste bien foutu et donne un aperçu du côté culturel du tattoo –côté américain seulement par contre- (50 minutes)

ou la web-série du chanteur Tété, « Tattoo by Tété« , très centrée sur le tatouage Old School et précisément de marin, mais qui donne la parole à des tatoués célèbres, parfois intéressants. 15 épisodes de moins de 10 minutes, n’hésite pas, voilà l’épisode 1

Enfin, quelques vidéos superbes pour apprendre et comprendre le fonctionnement du tatouage et de la machine, le tout en slow motion (ralenti très puissant). La première vidéo est en anglais, mais même pour les plus réfractaires, les images parlent d’elles-mêmes! Les suivantes sont moins informatives qu’illustratives (et magnifiques)

6 minutes 38

2 minutes 50

2 minutes 40


Et enfin ce docu de 20 minutes, qui donne la parole à des tatoués anonymes, tout ce qu’il y a de plus sains, dans une ambiance très calme et relax.

Voilà, la parole est à toi en commentaires! Raconte moi ton/tes tatouages, ou tes projets, et si t’en as pas, dis moi:
1- est-ce que ça fait mal?
2- Et quand tu seras vieux, tu seras pas moche?
3- tu vas pas regretter?

A bientôt!
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13 comments on “Le marque-pages.

  1. etangdekaeru

    Je me fais encrer fin novembre. Pour la première fois. Un motif sur tout le dos. Cela fait plus de 20 ans que j’y réfléchis (je suis du genre loooongue à la détente). Je pensais faire un article pour expliquer mes réflexions et voilà qu’une amie m’envoie un lien sur cet article….

    C’est toujours étrange de voir ses mots sous la plume d’un autre. Bien sûr, nos histoires sont différentes, nos motivations pour le passage à l’acte toujours personnel. Pourtant, il y a des ponts, des liens. Je me retrouve dans cet article.

    Et jamais je n’aurai réussi à pondre quelque chose d’aussi structuré et complet !

    Ma plus grande réticence pour le passage à l’acte est venue du « milieu » du tatouage et certains qui cultivent volontairement le coté rebelle et mauvais garçon, probablement aussi par réaction au effet de « mode ». Je n’ai pas la TV mais à priori le tatouage est de plus en plus utiliser en pub et marketing. Les blagues et commentaires que j’ai entendu dans le studio où j’ai pris m’ont rendez-vous m’ont affligé…

    Je me suis posées les « trois questions » casse-pieds, ça m’a fait marrer de les voir apparaitre dans l’article.

    J’avoue, la douleur m’inquiète. Je me fait tatouer le dos et la colonne. C’est la zone de mon corps qui concentre tout mes maux. Je suis familière, hélas, avec la douleur physique. Du coup, si il était possible de se faire encrer avec trop de souffrance, je serai partante. Mais, comme tu l’expliques justement, la douleur est probablement un facteur qui permet de faire hésiter voir d’éviter le passage à l’acte d’un certain nombre d’indécis.

    Pour ce qui est du vieillissement, je me suis posée la question, mais en terme plus pragmatique et par rapport à l’affaissement de certaines partie de l’anatomie féminine 🙂

    Quant à regretter, au bout de vingt ans de réflexion, je me fais quand même un peu confiance.

    Je prendrai peu-être le temps de raconter mon aventure, et grâce à toi, il y a de nombreux aspect que je n’aurai pas à aborder. Il me suffira juste de faire un lien sur ce papier 🙂
    Merci d’avoir partager tes réflexions sur un sujet trop souvent abordé sous l’angle du sensationnel et on l’on oublie l’intime et l’art.

    • Ouahou!! Super après tant de réflexion! C’est très touchant! Au contraire, n’hésite pas à écrire! Le domaine est en manque de mots posés. Et on se retrouve encore trop souvent à devoir « défendre » ses positions…

      Pour ma part je n’ai reçu que de superbes messages à l’annonce de chacune de mes pièces, celle là encore plus, et je suis ravi de pouvoir simplement parler d’un sujet que j’aime. Et je suis tout aussi ravi de pouvoir lire ou entendre d’autres histoires, donc je t’en prie, ne nous en prive pas!

      Et tu l’as dit, on se retrouve toujours dans les histoires des autres, en partie au moins. C’est ce qui fait que nous aimons nous sentir compris. Personnellement j’aime quand les réactions des gens sont positives et curieuses, même lorsqu’ils ne comprennent pas mon choix. Mais cela ne se produit pas à tous les coups. Voilà pourquoi j’ai senti le besoin de rédiger tout ça.
      Et c’est si structuré car c’est bien la première fois que je passe 4 jours sur un même papier! haha!!

      Oh! et bonne chance pour le tatouage! Souviens-toi : plus la pièce est petite, plus la douleur est rapide 😉 pour un premier ça peut compter! 🙂

      Merci d’être passé par là, sur les conseils de la plus sage de nous tous (les blogueurs) 😉

  2. Le tatouage, c’est pas trop mon truc mais si c’est canon, je peux comprendre. J’adore le travail de Supakitch et si c’était lui, je dirais pas non… peut-être… une vidéo qui m’a fait bien réfléchir sur le passage à l’acte, c’est justement sur son travail : https://www.youtube.com/watch?v=eEURx5A5dt0
    Je suis megafan !

    • Hey Salut Cédric! Quel plaisir!! Je vais regarder ça avec délectation, merci!

      C’est important ce que tu dis car effectivement il y a aussi beaucoup d’histoires de rencontres avec des artistes. Jusque là, mon tatoueur en France, avec tout le respect que j’ai pour son travail, n’avait eu comme intérêt pour moi que d’être pres de chez moi, et capable de travail bien fait. Mais je ne me suis pas intéressé à ses créations.
      Magu, lui, avec sa seule galerie m’a donné l’axe de ce que je voulais. Il a nourri ma propre créativité, et c’est sans hésiter que j’ai voulu lui confier une grosse partie du design. Je ne le regrette absolument pas. Son travail sur les lignes est incroyable, je me délecte des gros plans et j’admire la maîtrise de son geste.

      Vivement la suite!
      A bientôt! porte toi bien!

  3. Chibi Kyn (@onigirigeek)

    Ouahou quel article !! Et surtout QUEL TATOUAGE MAGNIFIQUE !!!! je n’ai rien d’autre à dire. Le résultat est superbe, très bon choix aussi bien dans le tatoueur, que le dessin 😉

    Mon tatouage, moi, c’est un dragon chinois dans le bas du dos en forme du symbole « infini ». J’ai toujours voulu un tatouage et quand j’ai pu l’avoir, c’était un dragon que je voulais. J’avais regardé les dragons japonais et chinois et mon choix s’est porté sur le chinois. Plus esthétique peut être pour moi à l’époque.
    Depuis, j’ai toujours voulu en faire un 2ème et un 3ème. Mais l’occasion ne s’est jamais présenté et surtout l’argent (si j’avais pas acheté mon 5D MarkIII oui j’aurais pu mais j’ai fait un choix :p )
    Bref, le 2ème je veux une branche de cerisier japonais avec le kanji « Sakura ». Au début je le voulais du haut de la cuisse qui remonte sur la hanche. Puis ensuite sur le bras… et au final j’arrive pas à savoir où je le veux -_-
    Le 3ème, c’est sur le poignet (avant-bras) que je le veux, mais là c’est le motif que je n’arrive pas à choisir xD Dur dur !! Surtout que je ne veux pas faire comme tout le monde. Je veux un motif particulier.
    Je sais que depuis le dragon, j’ai l’envie de le compléter mais je ne sais pas de quoi :/

    Mais je maintiens, je veux mes tatouages et je les aurais 😉

    Pour les questions :
    1 – Oui ça m’a fait mal surtout quand il a fait les grandes lignes du dragon au niveau du creux de la colonne (ouch j’ai serré les dents) mais sinon rien d’insurmontable. De mémoire, 2h de marquage !
    2 – Quand je serais vieille, serais-je moche ? bah peut être mais comme je le vois pas, pas de soucis pour moi 😉 et personnellement je m’en fiche. Comme tu l’as dit, il nous accompagne toute notre vie et vieillit avec nous.
    3 – Je ne regretterais jamais !! Je l’ai depuis 10 ans maintenant et je suis toujours aussi fière de l’avoir sur moi, dans mon dos (dans un sens il me suit partout où je vais).

    Je suis ravie d’avoir pu te lire à nouveau et surtout sur un sujet qui me passionne 😉
    Sinon juste pour info, je viens au Japon du 1er au 15 novembre. J’ai vraiment hâte car ça approche … Je ne sais pas comment je vais réagir c’est un peu con :p
    Mais je vais enfin voir de mes yeux tout ce que j’ai pu voir via le net.Peut être que mon séjour là-bas me donnera de l’inspiration 😉

    Bisous à tous les deux 😉

    • Salut Kyn!! Génial, tu vas enfin venir!! Je suis sûr que tu vas te sentir comme à la maison 😉

      Pour l’emplacement de ton prochain, réfléchis bien, c’est important 🙂 Si je peux me permettre, j’attache une très grande importance à rester dans la sacro-sainte zone T-shirt/Bermuda. Là où le plus de gens se font leurs motifs pour des raisons évidentes.
      Le tattoo ne doit jamais devenir un handicap pour moi, ou la première chose que les gens notent sur moi. Il y a trop de risques que le tatouage cache ma personne.

      Maintenant j’admets que je suis fier d’aimer ça, et que j’ai souvent envie d’un motif qui dépasserait discrètement, juste pour teaser :p Mais d’un autre côté la figure fantasmée du travailleur bien sous tout rapport, dont on imagine qu’il est couvert d’encre sous le costard, se développe tellement depuis 10 ans que c’en est tout aussi sympa. Et franchement il y a trop de possibilités de situations, toute conne où je préfère que le tatouage ne soit pas visible.

      Oh et ouais… le creux vers le bas… c’est pas cool niveau douleur, je confirme 🙂

  4. Un bon gros dossier. Tu n’as pas pu écrire souvent ces derniers temps, mais là, tu t’es pas foutu de notre gueule ^^
    Moi qui t’ai, un peu, accompagné dans toute cette histoire, ça a été très plaisant de te lire. Il y a des choses que je savais, d’autres que j’ai apprises.
    Mais surtout, tu as apporté un regard neuf sur ce monde du tatouage, le tout parfaitement écrit avec une minutie particulière pour jouer sur les mots encre/ancre.

    Les modifications corporelles, ça n’a jamais été mon truc, mais les tatouages ont cette dimension artistique que je ne ressens pas dans les percings par exemple.
    Personnellement, je n’ai jamais eu de dédain envers cet univers que j’ai toujours considéré comme un art. Certains tatouages me semblent vraiment bizarres, c’est vrai. Mais c’est la même chose quand je regarde une toile qui n’est pas de mon goût ou un film que j’ai trouvé mauvais. Est-ce pour autant que je ne respecte pas le peinture et le cinéma ?

    Alors, j’avoue, j’ai déjà posé une de ces fameuses questions (un peu connes c’est vrai) : « Est-ce que ça fait mal ? »
    De toute façon, c’est une question par simple curiosité, car je n’ai jamais eu envie de me faire encrer. On ne sait pas ce que la vie nous réserve néanmoins.

    En tout cas, je trouve ta démarche légitime. Je trouve tes tatouages plein de sens. Je trouve ton dernier jet d’encre particulièrement impressionnant et joli.

    • Héhé! T’as fait plus que m’accompagner un peu toi! T’as vécu la création de l’intérieur en étant le seul autorisé à venir au salon 😉
      En fait c’est bizarre cette appellation de « modification corporelle »… je vais peut-être ajouter quelques lignes là dessus tiens, maintenant que tu m’y fait penser… Je sais bien que c’est l’appellation générique, et que… bah c’est vrai, c’est une modification corporelle. Et pourtant, je n’ai JAMAIS considéré le tatouage comme tel!

      Les piercing, les implants etc, oui. Le tatouage non! C’est bizarre en fait! Simplement car je ne considère pas qu’on ajoute quelques chose, mais plutôt qu’on révèle quelque chose! je vais y penser, creuser un peu et ajouter un paragraphe quelque part tiens! Merci poto, comme d’hab toute interaction avec toi est productive 😉
      EDIT : le paragraphe a été ajouté à la fin de II- Mon dos ce héraut. Merci encore!

      Oh et pour la question conne, rassure toi, elle n’en est pas moins légitime. Celle de la douleur est la moins stupide de toute façon. Ce que je déteste est surtout la façon dont ces questions sont posées aux tatoués. On demande ça (la deuxième surtout) en ayant son avis bien préparé, et on n’écoute pas la réponse. Tous les gens que je vois/lis qui jugent le tatouage durement n’ont jamais pris plus de 5 minutes avec un tatoué pour en discuter et l’écouter. A partir de là, je n’ai rien à leur dire non plus au bout du compte. Mais j’en ai assez :p

  5. Oui, l’expression « modification corporelle » est un peu facile de ma part. Je n’ai pas vraiment réfléchis en l’écrivant.
    Je parle de modification parce qu’il y a un avant et un après. Bon, tu me dira, quand tu vas chez le coiffeur, il y a aussi un avant et un après, mais il s’inscrit dans un processus corporel « naturel » qui évolue en permanence (constante pousse des cheveux si tu n’as pas compris ^^).
    Pour rester chez le coiffeur, ce qui n’est pas « naturel », c’est la coloration des cheveux, mais le support capillaire n’est pas comme la peau. La peau te colle toute ta vie. Elle t’emballe. Les cheveux, ça se renouvèle sans cesse. Les « enjeux » sont donc différents. Enjeu est lui aussi un mot que je te balance là sans réfléchir ^^

    C’est vrai que cette thématique du tatouage pousse à se poser plein de questions. C’est bien. C’est tellement complexe que j’ai l’impression qu’on peut finir par se contredire soi-même. Il y a comme une part d’irrationnel qui entoure cet acte qui le rend mystérieux et fascinant la fois, et par la même occasion, le rend difficile à synthétiser par des mots.

    • non non mais modification corporelle est bien la catégorie dans laquelle on range le tattoo et à raison d’ailleurs… je remarque juste maintenant que, ça ne me traverse jamais l’esprit sous cet angle 🙂

      Sinon, « Kamoulox! » Moi aussi je peux balancer des mots sans réfléchir! 😀

  6. Merci pour ce texte si vrai et bien construit. Je suis encrée aussi mais je considère mes démarches comme trop personnelles pour les partager ainsi, et souvent les personnes qui me rencontrent pour la première fois me posent des questions tellement déplacées sur celui qui est visible…Cela fait partie des choses qui m’agacent, considérer que si l’encrage est visible il découle du domaine public (en partie je pense car l’opinion publique a tendance à voir le tatouage comme un accessoire de mode).
    J’ai souvent l’impression que seuls les tatoués comprennent les autres tatoués et il m’a été très agréable de retrouver un bout de mon histoire, encore merci.

    • Merci pour ce mot Amandine!
      Je comprends tout à fait ce que tu dis, c’est bien pour ça que je m’accroche à mon idée de pouvoir toujours les faire discrets.

      J’ai parlé des miens sans entrer trop dans les considérations personnelles, mais bon.. d’abord ça ne me dérange pas d’en parler avec les gens curieux, et ensuite j’avais aussi besoin de ça pour en parler « de force » avec ceux qui esquivent la question… du genre autorité parentale par exemple… (oui oui j’ai 33 ans mais… pas pour tout le monde, ce que je comprends mais bon… y a des limites ^^)

      A bientôt! Et merci d’être passée!

  7. MOI-PEAU

    Douce et vigoureuse
    la créature
    que tu portes
    sur ton ton dos,
    qui ne te
    quittera jamais
    quelle que soit
    la saison
    et t’accompagnera
    au delà
    des océans
    et des nuages,
    lors
    de ton
    dernier
    voyage.

    Douce pensée Ondori 🌸

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